Hommage à François Bovesse: père fondateur des fêtes de Wallonie et du "made in Wallonia"
14/09/2016 14:00
La cérémonie d’hommage du Président-fondateur des Fêtes de Wallonie, François Bovesse, a eu lieu ce lundi 12 septembre à 18 h dans les Jardins du Palais Provincial.
Découvrez les photos de cette cérémonie.
Cette année, la cérémonie a débuté par un lever des couleurs wallonnes. À l’issue du discours du Président du Comité Central de Wallonie, Claude Willemart, la parole a été donnée à Monsieur Benoît Bayenet, économiste, professeur à l’ULB et à Solvay:
Mesdames et Messieurs
Chers amis,
Permettez-moi de vous remercier pour l’honneur et la confiance que vous m’avez accordés aujourd’hui lors de cet hommage à François Bovesse dans le cadre des fêtes de Wallonie. Les nombreuses bibliographies[1] sur François Bovesse m’ont accompagné cet été sur les plages de l’Adriatique. Remerciement tout particulier car vous m’avez permis de découvrir et d’approfondir la vie de ce personnage namurois hors du commun. Mais aussi un attachement plus personnel puisque chaque matin je dépose mes enfants à l’Athénée qui porte son nom.
Tout Namurois a entendu parlé de François Bovesse, le militant régionaliste wallon, le ministre d’Etat, le gouverneur mais aussi, l’humaniste, le résistant et le défenseur des valeurs démocratiques sans oublier l’homme de lettres qui savait si bien trouver les mots pour décrire sa belle province de Namur et ses fleuves « Sambre et Meuse ».
C’est un autre aspect de la vie et de l’engagement de F. Bovesse que j’aimerais partager avec vous aujourd’hui tant les liens avec l’actualité sont manifestes.
Permettez-moi de citer quelques extraits des ouvrages d’Arnaud Gavroy et de Chantal Kesteloot :
« Depuis le second semestre (1930), la Belgique était touchée par la crise économique. Celle-ci frappa de plein fouet la classe ouvrière mais aussi les classes moyennes dont le mécontentement alla croissant »[2]. « C’est la déconfiture de la Banque Belge du travail (…) qui investit l’argent des petits épargnants dans des affaires industrielles. (…) L’Algemeene Bankvereeniging se retrouve dans l’impossibilité de faire face aux retraits de ses déposants. La situation est grave. Ces krachs financiers mettent en péril les intérêts de nombreux petits épargnants et menacent le recours aux crédits, moteur indispensable de l’économie »[3].
Le passage que je viens de lire est troublant. Il n’a pas été écrit en 2016 pour décrire et commenter les conséquences de la crise financière de 2008. Il se rapporte aux années 30, c’est-à-dire l’après « grande crise de 1929 » qui hante toujours l’histoire économique et politique du monde tant les effets en ont été désastreux !
Le gouvernement de l’époque se devait de répondre à la crise économique et restaurer la confiance des citoyens dans les institutions.
A cette époque, F. Bovesse était ministre de la justice et chargé de mettre en œuvre un cadre légal pour protéger l’épargne[4]. Une première réforme a visé à rendre aux épargnants la confiance dans le fonctionnement des banques. Il a proposé plusieurs textes de loi dont l’objectif était de réformer la structure des organismes financiers par le biais de l’abandon du système des banques mixtes.
Le but était d’établir une scission entre les établissements financiers acceptant les dépôts et les organismes destinés à financer l’industrie comme les holdings financiers. D’autres mesures visaient à sauvegarder les intérêts des épargnants par rapport aux abus de confiance des institutions financières. Vous ne rêvez pas, nous sommes en 1934, et non en 2016 !
D’autres mesures proposées par F. Bovesse avaient pour objet d’aider les institutions financières en difficulté pour prévenir la ruine des épargnants. Enfin, F. Bovesse proposa un cadre légal permettant de contrôler les organismes financiers sollicitant l’intervention de l’Etat. Nous sommes toujours en 1934.
Même si les raisons sous-jacentes à chacune des crises sont différentes, certaines similitudes de traits se doivent d’être soulignées entre la crise des années 30 et celle de 2008. Elles sont, à ce point, troublantes que nous nous devons d’apporter une réponse aux préoccupations et inquiétudes actuelles des hommes et des femmes.
Nous ne devons jamais oublier l’impact désastreux pour l’humanité de la crise des années 30. La crise économique et financière actuelle crée un terreau politique et social poussant de nouveau au repli sur soi, à l’exclusion, au rejet des solidarités et à la montée des extrêmes.
En 1934, le chômage explose en Belgique. Le gouvernement met en place un Comité national du travail. On parlerait aujourd’hui de « Task force ». Dans ce cadre, F. Bovesse a proposé une série de mesures qui ont été rapidement qualifiées par la presse en tant que « plan Bovesse » [5].
Il était convaincu que le chômage n’était pas conjoncturel mais structurel et technologique. Selon F. Bovesse, les idées et les projets mis en avant ne constituaient pas « la solution au chômage mais pouvaient servir de remèdes à une situation injuste et inhumaine ».
F. Bovesse était convaincu qu’il fallait diminuer la durée des prestations afin de partager le temps de travail. Il proposa de réduire la semaine de travail de quarante-huit à trente-six heures. Pour F. Bovesse, cette réduction devait être accompagnée d’une réduction des salaires mais pas proportionnelle à celle de la durée du temps de travail pour ne pas nuire à la condition ouvrière. Son hypothèse était que l’ouvrier compenserait la réduction du temps de travail par un gain de productivité.
Mais, comme il ne souhaitait pas détériorer la condition ouvrière, l’Etat devait, selon F. Bovesse, intervenir pour procurer aux ouvriers d’autres ressources. Sa solution à l’époque était le retour à la terre, à savoir mettre à disposition des ouvriers, des demandeurs d’emploi et des personnes peu aisées des terrains pouvant être utilisés comme jardins ou petites cultures. Ce projet s’est concrétisé d’ailleurs en 1935 par la création de la Société nationale de la Petite propriété terrienne et a permis la construction groupée de petites maisons.
Il a également proposé d’apprendre aux ouvriers la fabrication d’objets finis que la Belgique achetait à l’étranger. En quelque sorte le « made in Belgium » ou « made in Wallonia » actuel.
A l’époque, ses idées furent accueillies avec scepticisme notamment en ce qui concerne la réduction du temps de travail.
Même si 80 ans plus tard, on se rapproche du projet de Bovesse des 36 heures par semaine, cette réduction du temps de travail été l’objet d’un long processus. Il faudra en effet attendre les années 50 et une loi de 1964 pour généraliser la réduction du temps de travail à 45 heures par semaine, encore dix ans (1974) pour la semaine des 40 heures et près de vingt ans pour la généralisation de la semaine des 38 heures au début des années 2000.
Que ferait F. Bovesse aujourd’hui ? Le problème du chômage est toujours au cœur de des préoccupations du monde politique et économique. Et le débat sur la réduction du temps de travail est de nouveau sujet à propositions et critiques.
Aucune discipline ne peut monopoliser le débat et affirmer que seules ses solutions sont viables. Il s’agit d’un vrai débat de société. Et comme tout projet qui bouleverse les bases de notre organisation, il doit pouvoir faire l’objet de débats et de propositions pour le rendre cohérent en termes économique, financier, politique et social.
Je terminerai par ces mots exprimés par J.F Kennedy et qui, je pense, auraient été partagés par F. Bovesse : « La plupart des gens regardent les choses comme elles sont et se demandent Pourquoi ? Moi, je regarde les choses comme elles pourraient être et je demande Pourquoi pas ? »
Vive la Wallonie !
Bonnes fêtes de Wallonie !
Bonnes fiesses à torto !
Benoît BAYENET
[1] A. Gavroy, François Bovesse 1890-1944, Itinéraire et pensée politiques, Edité par la Ville de Namur, 1990 ; Ch. Kesteloot et A. Gavroy, Pour la défense intégrale de la Wallonie, Collection Ecrits politiques wallons, Institut Jules Destrée, 1990. Les informations sur les actions de F. Bovesse reprises dans la suite du texte sont extraites de ces deux ouvrages.
[2] A. Gavroy et Ch. Kesteloot, 1990, p. 55.
[3] A. Gavroy, 1990, p. 90.
[4] Pour des informations plus précises, voir notamment A. Gavroy, 1990.
[5] Pour des informations plus précises, voir notamment A. Gavroy, 1990.
Sources photos: bibliotheca-andana et connaître la wallonie